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Studio Shakhari Bazar

La première exposition personnelle de Gilles Saussier a lieu en 1997 dans Shakhari Bazar, le principal quartier hindou de la vieille ville de Dhaka, Bangladesh. L’exposition prend fin au fur et à mesure que les photographies sont distribuées aux habitants. Les noms et les adresses sont consignées dans un registre. De retour en 2001, le photographe rend visite aux personnes et aux images, documente la dissémination dans les intérieurs, et réalise de nouveaux portraits. Un processus documentaire expérimental s’engage formé de plusieurs couches de portraits superposées et entrecroisées.

L’exposition dans Shakhari Bazar se composait de 74 portraits d’habitants pris lors d’un reportage mené de 1995 à 1996 sur la vieille ville de Dhaka. Les images accumulées formaient un stock étrange, une verroterie que je ne me sentais plus d’écouler auprès de la presse occidentale. Je décidais d’exposer sur place les images les plus reconnaissables par les personnes photographiées, d’utiliser l’espace d’exposition comme le début et non comme la fin d’un processus de prise de vues.

L’exposition eut lieu sous un chapiteau de tissu et de bambous érigé sur la seule parcelle de terre non construite de la rue, propriété de l’hôtel Kampalna qui la réserve aux banquets de mariages. En quelques jours, trois à quatre mille personnes visitèrent l’exposition : habitants de Shakhari Bazar mais aussi foule des colporteurs, manoeuvres, mendiants, fakirs, enfants des rues…Le dernier jour, les photographies furent distribuées aux habitants. L’exposition prit fin au fur et à mesure que chacun emportait son portrait.

En 2001, de retour dans Shakhari Bazar, j’entrepris de documenter ce qu’étaient devenues les images : leur dissémination dans les boutiques, les intérieurs ; leur cohabitation avec les posters de stars de cricket ou de cinéma ‘bollywoodien’, les portraits des héros de la culture bengalie tel Tagore, les photos de familles délavées par les moussons. Ces visites aux images et à leurs propriétaires fournirent le prétexte pour réaliser de nouveaux portraits (portraits des images, portraits des familles).

Dans la rue où les boutiques de portraitistes traditionnels ont disparu supplantées par les réalisateurs de films vidéos bon marché, les habitants viennent désormais à moi comme au studio. Lourd et visible avec mon appareil moyen-format, je parviens à réaliser ces images intimes que m’interdisait la norme du reportage. Je renoue avec l’activité de portraitiste de quartier, importé par le colonisateur, popularisé par l’indigène et tombé depuis en désuétude.